PHOTO – Les Etats-Unis à La Gacilly

LES ÉTATS-UNIS à LA GACILLY

gacilly

La Gacilly. Si le nom de cette commune morbihannaise de moins de 2500 habitants vous dit quelque chose, c’est sûrement que vous être Breton. Ou bien un fervent admirateur d’Yves Rocher, qui y est né et qui y a naturellement installé les QG de son groupe et de sa Fondation éponymes. Non? Peut-être faites-vous partie de la « première entreprise de France » alors (l’Artisanat NDLR, au cas où vous seriez passé à côté de cette publicité désormais célèbre). Toujours pas? Amoureux de l’objectif, très certainement donc. Car cette commune n’est pas seulement connue pour avoir vu naître le papa de la cosmétique végétale, pour être le berceau des artisans d’art ou encore pour avoir des petites ruelles au charme fou. Une fois par an, le village se fait ville en accueillant quelques 300 000 visiteurs, devenant ainsi le plus grand Festival photo en plein air de l’hexagone. Tour d’horizon des œuvres exposées et morceaux choisis.

« Une photo éthique et humaniste…

croisant les regards de photographes issus du monde de l’art et du photo-journalisme ». C’est ainsi que les organisateurs définissent l’œuvre globale présentée lors de cet événement de grande envergure. Créé il y a tout juste dix ans par Jacques Rocher, le festival de La Gacilly fait la part belle à la Nature et aux Peuples. Plutôt large comme spectre, me direz-vous. ‘Ambitieux’ vous répondrait son fondateur. Un adjectif qui colle plutôt bien à ce Festival qui occupe 1000m² d’œuvres exposées pendant quatre mois, et qui transforme ainsi une bourgade en capitale française de la photo, le temps que les badauds se rincent l’œil – amateur ou averti.

2014? Red, White and Blue

Pour cette 11e édition, ce sont les États-Unis qui s’invitent en Bretagne. Point de hasard : il y a 70 ans exactement, l’opération Neptune se déroulait en Normandie, amorçant la libération de la France. 25 ans plus tard, au mois de juillet, les ‘ricains posaient le pied sur la lune et un certain Armstrong prononçait cette phrase historique : « C’est un petit pas pour l’homme, mais un bond de géant pour l’humanité », asseyant de fait le soft power U.S. sur le monde entier.

Loin de mettre aveuglément le pouvoir exercé par l’Oncle Sam sur un piédestal, le Festival Photo a pris le parti de contrebalancer telle Galerie avec telle autre, faisant le choix de la diversité des œuvres exposées et de leur signification. Il en va ainsi de la série documentaire de Brent Stirton.

Brent STIRTON – Retour chez les Navajos

 

Né à Durban en Afrique du Sud, Brent Stirton est aujourd’hui basé à New York City où il est membre de l’agence Getty Images et où il défend une photographie documentaire engagée. Le festival expose sa série sur les Navajos, un peuple amérindien d’Amérique du Nord, chassé puis déporté par l’Armée fédérale américaine au XVIIIe siècle.

Jeune garçon Navajo. Comparaison entre une photo prise par Edward Curtis au début du Xxe siècle et une photo prise par Stirton en 2014, lors d'un spectacle de danse Pow Wow. [Photo: Mélina Huet]
Jeune garçon Navajo. Comparaison entre une photo prise par Edward Curtis au début du XXe siècle et une photo prise par Stirton en 2014, lors d’un spectacle de danse Pow Wow. [Photo: Mélina Huet]

Pete MCBRIDE – Colorado, le fleuve assoiffé

 

Si vous rêviez de faire un tour à Las Vegas dans les prochains mois, de boire une menthe à l’eau (l’abus d’alcool est dangereux pour la santé) en jouant au Blackjack, de vous baigner dans ses piscines indécentes ayant poussé au milieu du désert, Pete McBride va vous faire passer l’envie d’acheter vos billets d’avion pour cette ville mythique. Aventurier, sportif, écrivain, documentariste et photographe, celui qui a grandi dans un ranch sur les bords du fleuve Colorado s’est investi d’une mission: sensibiliser le public quant à la disparition progressive de ce fleuve légendaire. Or, nous démontre McBride, Las Vegas, Phoenix et autres villes artificielles américaines ne sont évidemment pas étrangères au processus de dessèchement. Ce qui était il y a peu un puissant fleuve est aujourd’hui à sec à environ 70 kilomètres au nord de la mer, où il ne parvient plus à se jeter.

Pour illustrer le danger de l’assèchement, Pete McBride a suivi le cours du fleuve sur 2330 kilomètres, la plupart du temps depuis un petit avion, traversant des paysages mythiques des États-Unis. Ses photos spectaculaires nous montrent ce que nous risquons de perdre si les pratiques ne changent pas : la surconsommation domestique et agricole des Californiens étant un fait. Dans cet Etat, c’est en effet plus de 1000 litres d’eau qui disparaissent… par jour et par personne!

Colorado, le fleuve assoiffé, McBride
A gauche: les flancs du Mont Richthofen. A droite Lulu city, ancien village de mineurs aujourd’hui abandonné. Photo: Mélina Huet

 

Pour les anglophones, prenez le temps de regarder ce documentaire saisissant, qui a valu à McBride plus de vingt prix dans les Festivals où il a été projeté.

David MAISEL – American Landscape

 

Si ce photographe né à New-York partage le même bout de galerie que McBride, ce n’est pas un hasard. Derrière des photos a priori abstraites et pour le moins ravissantes, se cache une réalité effrayante: celle de forêts éventrées, de mines à ciel ouvert, de continents de plastique et autres joyeusetés créées par l’Homme. Pour autant, le précurseur de l’art minimal ne se veut pas documentariste et avoue même sa « fascination pour la destruction du paysage, à la fois en terme de beauté formelle et de politique environnementale ». Cela peut paraître étrange, mais le festivalier comprendra peut-être s’il décide de passer par la Galerie des Jardins de la Passerelle. Il ne restera sûrement pas insensible aux photos de Maisel, prises à plus de 13 000 mètres d’altitude et révélant les ravages provoqués par la race humaine dans ce qui semble tenir d’une beauté déplacée, impolie, presque licencieuse.

 

Photo: Mélina Huet
Photo: Mélina Huet

Michael NICHOLS- Le roi du Serengeti

 

Michael Nichols, originaire de l’Alabama, est un ancien de l’agence Magnum Photos. Celui qui a remporté plusieurs World Press pour ses reportages dans la catégorie Nature et environnement est aujourd’hui membre de l’équipe National Geographic, magazine pour lequel il est photographe animalier. Dans sa série « Le roi du Serengeti », il met fin au cliché selon lequel le continent africain regorge de lions. Il a posé ses valises en Tanzanie pour capturer de nombreux clichés de C-Boy, un lion qu’il a pris pour modèle, et de ses compagnons de cordée luttant pour leur survie à l’heure où ils doivent cohabiter avec des communautés humaines de plus en plus nombreuses chaque année.

Michael Nichols

© Michael Nichols
© Michael Nichols

 

Nick BRANDT – Le crépuscule du monde sauvage

 

Anglais expatrié dans les montagnes du sud de la Californie, Nick Brandt a mis treize ans pour finir son œuvre photographique, dénonçant la disparition des animaux sauvages et des espaces naturels en Afrique de l’Est.

© Nick Brandt. Photo: Mélina Huet
© Nick Brandt. Photo: Mélina Huet

 

« On this earth, a shadow falls across the ravaged land »

 

Sur cette planète, une ombre tombe sur la terre ravagée » est son ultime sentence. Trois séries photographiques composent son œuvre, dont la dernière est exposée au Festival Photo. « J’ai constaté que la situation de la faune africaine s’aggravait, explique-t-il. La trilogie devait alors s’achever sur une note plus noire que celle sur laquelle je l’avais commencée ». Les tableaux en noir et blanc que vous trouverez à la Galerie du Labyrinthe Végétal communiquent les uns avec les autres, le plus souvent dans une forme de clin d’œil affreusement sombre. Je vous laisse juger par vous-même:

 

© Nick Brandt. Photo: Mélina Huet
© Nick Brandt. Photo: Mélina Huet

 

Steve MCCURRY – Colors

Si la star américaine de Magnum n’est plus à présenter, l’exposition gigantesque que lui consacre le Festival Photo de La Gacilly nous rappelle avec un choix finement étudié l’influence de Cartier Bresson sur le travail de McCurry. Un modèle français pour qui saisir l’instant fugitif — plus que décisif — était une quête permanente qui pouvait venir perturber à jamais — et pour le meilleur — le travail de composition.

 

 

"Colors" par Steve McCurry. Photo: Mélina Huet
« Colors » par Steve McCurry. Photo: Mélina Huet

D’ici et d’ailleurs

 

De nombreuses autres œuvres photographiques, sans lien aucun avec les États-Unis, ponctuent le gigantesque parcours de la commune morbihannaise. A l’instar de Nomad, le projet initié par Russel James. Cet Australien davantage connu pour ses photos de mode de Victoria’s Secret a décidé de sortir de ses studios pour promouvoir, au moyen d’un travail mêlant art et photographie pure, le dialogue entre les peuples de son pays. Inspiré par les excuses publiques aux aborigènes du Premier Ministre australien en 2008, il décide en effet de créer un dispositif qui l’amène à collaborer avec des artistes autochtones et de communautés marginalisées. Le résultat:

 

 

 

Le travail de Floriane Lassée, « How Much can you carry? », retient lui aussi l’attention. Sa fascination pour les files de marcheurs portant des charges « aussi variées que volumineuses » le long des routes africaines l’a poussée à étendre son projet à d’autres continents, tels l’Amérique du Sud ou l’Asie. Népal, Japon, Indonésie, Bolivie, Brésil sont autant de destinations qui alimentent sa soixantaine de photos sur le thème du portage. Ce qui est appréciable? L’absence de misérabilisme. On découvre des modèles qui prennent la pose, qui rient aux éclats parfois, qui nous montrent avec fierté ce qui, souvent, les fait vivre.

 

Robert CAPA – Loin de la fureur

 

Père du photojournalisme, grand reporter de guerre, cofondateur de Magnum, témoin de l’Histoire, baroudeur infatigable… il y a tant de casquettes à attribuer à cet Austro-hongrois, né Endre Ernő Friedmann, qu’on en perd ses repères. S’il s’est forgé la légende d’un photographe américain à ses débuts, pour accroitre ses ventes, le mythe ne tardera pas à devenir réalité. Pour lui rendre hommage, le Festival Photo a décidé de mettre en avant des clichés « loin de la fureur », Capa étant principalement connu pour ses tragiques photos. Des clichés qui firent l’Histoire, comme ceux des femmes tondues lors de l’épuration au sortir de la guerre. Vous découvrirez donc un autre Capa, loin des champs de bataille, capturant éclats de rire et situations ubuesques.

 

Soldat américain en compagnie d'orphelins "adoptés" par son unité, Londres, 1943. © Robert Capa
Soldat américain en compagnie d’orphelins « adoptés » par son unité, Londres, 1943.  © Robert Capa / ICP /Magnum Photos

 

Le Morbihan à l’honneur

 

«Le festival Photo La Gacilly est devenu au fil du temps un rendez-vous unique, porteur pour l’image de la Bretagne et du Morbihan» affirme Jacques Rocher. Il parait donc logique que quelques séries photographiques saluent le département hôte de la manifestation. Ce seront cette année Georges Mérillon et Patrick Messina, respectivement avec Terre de vacances et Terre d’adoption, qui se chargeront de cet hommage local.

« Lorsque le Conseil général (…) et le Festival de La Gacilly m’ont proposé de capter les vacances dans le Morbihan, j’ai trouvé l’offre surprenante, explique G. Mérillon. Bien conscient que mon parcours photographique m’a plus souvent conduit à travailler sur des terres de souffrance que sur celles ensoleillées de la trêve estivale, le projet m’a pourtant immédiatement séduit. Le Morbihan était alors pour moi une terre inconnue. Je décidais, pour le visiter, de m’y rendre en moto, sans GPS, en suivant un cap tracé au gré des rencontres. Cette terre de Bretagne, je l’ai découverte ainsi, lors d’une croisière de 2700 kilomètres au travers de ses forêts et sur ses îles, le long de ses plages et de ses canaux, dans sa campagne, dans ses villes et ses châteaux. Je me suis laissé guider par le regard de ses visiteurs croisés au hasard du mois d’août. J’ai tenté de saisir l’image de ses hôtes venus trouver ici ces moments paisibles faits de petits riens, ceux qui donnent à l’été son rythme et sa saveur. »

Terre de vacances, par Georges Mérillon. Photo: Mélina Huet
Terre de vacances, par Georges Mérillon. Photo: Mélina Huet

Patrick Messina, lui, explique son attachement au Morbihan, né vingt ans plus tôt:

« Ma famille est partie d’Algérie en 1962. Je n’ai jamais eu de lieu familial, de point d’ancrage. Il y a 20 ans je découvrais ce lieu grâce à Delphine. Ses grands parents s’y installaient 30 ans plus tôt. Leurs 7 enfants ont maintenant 7 maisons et viennent le plus souvent possible avec leurs enfants. Certains y vivent toute l’année. Delphine y passait toutes ses vacances scolaires. Sans nous en rendre compte, petit à petit, Delphine et moi avons transmis cet intérêt pour le Golfe du Morbihan à nos deux enfants Alma (13 ans) et Côme (9 ans). Le Golfe du Morbihan fait partie du « club des plus belles baies du monde » ! C’est une mer intérieure d’une largeur de 20 kms parsemé de nombreuses îles et îlots. C’est une destination prisée pour la beauté de ses paysages. Depuis 20 ans la Presqu’île de Rhuys a beaucoup changé. Avec un formidable coup d’accélérateur depuis les années 1982-1983 et les lois de décentralisation Deferre. Partout la même trilogie – infrastructures routières, zones commerciales, lotissements – concourt à un impressionnant étalement urbain. De plus en plus de bateaux de plaisance naviguent (ou restent à quai !) : agrandissement des ports et du nombre de mouillages. La liaison ferroviaire rapide Paris-Vannes attire de plus en plus de gens. Mais comme si rien n’avait changé, comme il y a 50 ans, nous et nos enfants aimons y retourner. Pour quelles raisons Delphine et moi aimons ce lieu ? Pourquoi Alma et Côme sont-ils tant attachés à cet endroit ? Dans chaque photographie, Alma et Côme sont présents tels des référents temporaires ».

Morbihan - Terre d'adoption, par Patrick Messina. Photo: Mélina Huet
Morbihan – Terre d’adoption, par Patrick Messina. Photo: Mélina Huet

 

Le voyage se finit là. Un texte en prose de Vincent Colin — écrit en août 2013 apprend-on — vient conclure la série morbihannaise. Le mystérieux auteur y relate avec nostalgie ses souvenirs du Logeo, ce petit port dans le Golfe du Morbihan à Sarzeau, à l’aube des années 60. J’ai décidé de faire une lecture de son texte, que je n’ai pu retrouver nulle part (même Google a ses limites), pour qui voudra prêter l’oreille à ces souvenirs personnels semblant universels, à ces instants de vie datés… quoiqu’ intemporels.

Texte de Vincent Colin (août 2013) exposé lors de la 11e édition du Festival Photo de La Gacilly (56). Mise à jour mars 2015: j’ai retrouvé LE Vincent Colin (il y en a plusieurs sur la toile). Faites un tour sur son site!

Lecture et montage audio: Mélina Huet

Pour ceux que la photographie intéresse peu, il est bon de signaler que La Gacilly est accessoirement un petit coin de paradis, pour qui se laisse bercer par le cours de l’Aff sans se préoccuper du temps qui passe.

Photo: Mélina Huet
Photo: Mélina Huet

 

Photo: Mélina Huet
Photo: Mélina Huet

Aux grands amateurs de photo donc, ou aux simples curieux, il ne vous reste plus qu’un mois et demi pour profiter du Festival. Bonne nouvelle: c’est gratuit

Le site du festival: http://www.festivalphoto-lagacilly.com/

Voir la programmation complète

DU 31 mai au 30 septembre 2014

Mélina Huet