
Développement : privilégier le long terme
A deux ans de la fin des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), l’économiste Pierre Jacquet s’interroge sur l’existence même de ce concept. Vaste sujet. Si selon lui, on dit toujours qu’ « il faut » aider les pays les plus pauvres, on ne dit jamais « comment ». Lors de cette session, les intervenants ont abordé de nombreuses questions : le ou les modèles à adopter, les risques liés au développement et les chemins pour y parvenir.
Définir un modèle de développement. Est-ce même possible ? C’est la question posée par un étudiant lauréat du concours Inventez 2020, anecdote à l’appui : « Un ingénieur Bangladais nous avait marqués quand nous parlions avec lui des OMD. Il disait : ‘‘notre objectif ? ce n’est pas de vivre comme vous : c’est de vivre mieux que vous’’ ». Y’a-t-il un seul modèle, souvent défini par les pays occidentaux, qu’il faudrait atteindre ? Ou existe-t-il plusieurs formes de pays développés ? Selon Pierre Jacquet, « ce n’est pas aux occidentaux de fixer les modèles. Il faut promouvoir la Recherche dans les pays en développement pour qu’ils trouvent eux-mêmes les leurs. C’est la base du consensus social, c’est l’ownership ».
Nourrir et éduquer le monde. La clé de la croissance réside dans l’amélioration de l’accès aux capitaux humains, que sont l’éducation et la santé. C’est du moins l’avis de Nora Lustig, économiste argentine. Une position partagée par Esther Duflo, professeure au MIT et conseillère de Barack Obama sur les questions de développement : « Pour participer de la croissance, la base, c’est la santé. C’est quand même mieux si on n’est pas mort à l’âge de cinq ans ! […] Puis vient l’éducation, nécessaire pour contribuer au développement de son pays ». Et quand on lui demande, question audacieuse, comment nourrir le monde aujourd’hui, elle répond avec énergie que ce n’est pas une question de production – il y a assez de tout et pour tout le monde – mais de répartition. Selon elle, on pose d’ailleurs trop souvent la question de la sous-nutrition plutôt que celle de la malnutrition, alors que le problème est davantage celui de la qualité que celui de la quantité.
Développement : entre opportunité et risque. Du développement naissent aussi des tensions. Mustapha Nabli, ancien gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie durant le Printemps Arabe, fait partie des économistes les plus à même d’en parler. Il exprime cette difficulté à piloter les urgences quand le Moyen Orient offre aussi peu de visibilité politique sur le long terme. A la question de la temporalité s’ajoute celle de la classe moyenne : une classe formée, éduquée, employable mais sans emploi, en froid avec sa classe politique. L’indicateur « éducation » n’est donc pas suffisant. C’est ce que rappelle Abdoul Salam Bello, du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) : « Les indicateurs OMD montrent que d’ici à 2015, nombre de pays africains auront au moins atteint le premier objectif concernant l’éducation. Mais dans le même temps l’Afrique subsaharienne est l’une des dernières régions du monde à entrer dans la transition démographique. Cela représente des opportunités, mais aussi des risques ». L’opportunité, c’est cette cohorte de jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi, en situation d’employabilité, notamment grâce à l’amélioration des systèmes éducatifs. Le risque, c’est le manque de structures suffisamment ancrées pour les employer. En ce sens, l’analyste financier se rapproche des théories de Lionel Zinsou, présent dans la salle, et Francis Fukuyama, deux des contributeurs de la session inaugurale des Rencontres.
La révolte des classes moyennes. Le meilleur exemple reste celui de la Tunisie, qu’Abdoul Salam Bello reprend aussi dans son exposé : « Regardez ce pays, il a les meilleurs indicateurs de développement du continent. Or le système tunisien sous le régime de Ben Ali a failli. Pourquoi ? Parce qu’on a omis deux types de besoins : ceux démocratiques… et ceux des jeunes ». Selon lui, le développement n’a pas une temporalité, n’est pas « une séquence », il est bien plus compliqué que cela : « dans le développement il y a plusieurs vitesses, ‘‘horloges’’ différentes », a-t-il conclu, en reprenant la formule employée le matin même par le physicien Etienne Klein.
Cette session, mêlant les questions du temps, des transitions et d’une classe moyenne toujours plus importante dans le débat économique, fut un véritable écho à la session inaugurale sur Le choc des temps.
Mélina Huet
Publié sur: http://www.lecercledeseconomistes.asso.fr/session-3-les-temps-du,1295
Image à la une: © Cercles des Economistes