Carnet de voyage – Le jour où j’ai utilisé mes pieds à Hollywood

Hollywood Boulevard. Top ten des résultats de recherche dans la catégorie des « trucs à faire à Los Angeles » lorsqu’on interroge notre cher ami Google. J’ai donc, en touriste qui se respecte (ou pas), décidé de passer une partie de mon premier jour dans ce lieu mythique du cinéma ricain, puis de marcher où le vent me mènerait. Si le titre de ce billet vous parait un peu banal, vous comprendrez très vite que ça ne l’est pas tant que ça. Enfin… il parait.

Los Angeles. Photo: © Mélina Huet
Los Angeles. Photo: © Mélina Huet

Le trip, pourtant pas compliqué, commence mal: abandonnée par mon hôte en retard pour le boulot, je me retrouve avec pour seul moyen de locomotion, mes pieds, dans les quartiers les plus huppés de Beverly Hills (« haaan, ma pauvre », vous me direz. Et vous aurez raison). Sauf que je suis Jet lagged (vous n’imaginez pas le petit bonheur que c’est de pouvoir utiliser cette phrase super débile classe) sans cash, sans plan de la ville et sans wifi; car c’est bien là le drame de notre génération d’assistés: sans wifi, être autonome? que nenni! Bon, si on arrête de jouer les dramaqueens deux petites secondes et qu’on souhaite resituer, le problème c’est que la bien nommée LA – prononcer ellaaay, pour faire un peu plus « in » – n’est PAS une ville à taille humaine: douze fois Paris, soit pas moins de 1300 km² contre 105 pour la ville lumière. Impressionnant n’est-ce pas ? Sans voiture, se déplacer devient donc logiquement un enfer : le réseau de bus est un monstre de complexité et vous ferez en une heure trente ce que vous pouvez faire en 25 minutes en taxi, croyez-en ma maigre expérience.

J’en étais à Beverly Hills donc. Les manoirs de Picsou jolies maisons, c’est bien sympa, mais j’ai des trucs à visiter. Mon expédition *retrait d’argent* (juste pour avoir des billets de 1 doll dans le portefeuille et pouvoir se la péter, ne nous mentons pas) est coupée court par le signalement d’une commission hors de prix au distributeur de la banque dans laquelle j’ai pénétré au pif. Deux portiers, pour une seule porte, et une femme à l’accueil qui vous demande comment vous allez aujourd’hui avec un sourire à lui décoller la mâchoire, alors qu’elle ne vous connait ni d’Eve ni d’Adam, ça sentait mauvais, même pour une Américaine. J’aurais dû me méfier. Par peur de me faire aussi facturer la demande d’information, je rentre dans le premier bar que je vois, car les barmen sont nos amis toujours de bon conseil. Ok il est neuf heures du matin et j’ai l’air d’une paumée en manque d’alcool, donc c’est pas brillant (le jet lag je vous dis). Matthew, de son p’tit nom, me dit que le bus ne va pas à Hollywood Boulevard depuis Beverly Hills – j’apprends plus tard qu’il m’a menti le bougre, même si c’est par omission. Il me conseille de commander un taxi à la réception en indiquant son nom parce que je ne suis pas cliente de l’hôtel (comment a-t-il deviné ? Tiens d’ailleurs, c’est le bar d’un hôtel ça ? Quelle heure est-il en France ? mince, je m’égare. Le jet lag je vous dis).

C’est lorsqu’on m’indique d’attendre mon « véhicule » sur le canapé en cuir du lobby de Ferrari que je me rends compte que j’ai demandé un service de grosse pigeon touriste à un hôtel qui n’a rien d’un Formule 1 (vous noterez l’ironie de la formule, einh ?).

Bref, je fais mes petits kilomètres en compagnie de X – je n’ai pas compris son nom – le chauffeur de taxi iranien qui ne vit à LA que depuis sept ans, et qui n’est pas très causant (« les gens sont super super sympas ici ». Fin de la discussion. D’accord X, je veux bien te croire). Soudainement, il s’arrête sur le bord d’une route. De la route apparemment. « On est arrivé ». Je regarde autour de moi et je comprends mieux l’air perplexe du bonhomme quand je lui avais annoncé 20 minutes et 20 dollars plus tôt que je souhaitais aller à HB – Hhhaullywood Bouleuvard’ pour les intimes.

Pas un chat. Vite fait deux SDF. Rien d’ouvert. « Bah oui mais il est 9h30 mademoiselle. Là y a rien. C’est tout fermé. Mais vous verrez, vers 11h ça va bouillonner comme pas permis! ». Je veux bien le croire. En attendant, je vais vivre une traversée du désert boulevard un peu spéciale. Je saute du taxi, fais un petit bond d’excitation lorsque je me rends compte que la première étoile sur laquelle je pose le pied est celle d’Orson Welles, souris en voyant le nom de Frank Sinatra un peu plus loin, sifflote en effleurant Johnny Depp du bout de l’orteil, m’arrête un peu pour rendre hommage main sur le cœur à Marilyn Monroe, ai une pensée pour ma sœur en découvrant que Winnie the Pooh a droit à son bout de pavé, et puis… bon… très vite… je m’emmerde quand même. J’ai envie d’appeler le SAV, qu’on me rembourse vite fait bien fait. Sérieusement, vous vous souvenez de la première fois que vous êtes allé au Louvre, qu’après vous être coltiné les 4h de queue, frappé tous les touristes (dont vous faites partie), évité les barrière de photographes en tout genre, traversé tous les siècles de l’Histoire de l’Art, vous aviez enfin atteint votre but : La Joconde. Enfin je veux dire… ça? Cette petite chose riquiqui cachée devant une ribambelle de Japonais qui flashotent de part et d’autres, alors que si vous vous retournez, vous avez Les Noces de Cana de Véronèse qui s’étend sur 7X10 mètres. Ce sentiment de loose qui vous a habité, vous vous en souvenez? Cette impression d’arnaque totale? Ben là: pareil.

Ce que je retiendrai d’Hollywood Boulevard: le SDF qui polissait avec tant d’ardeur l’étoile de Flora Finch que j’ai cru qu’elle allait disparaitre sous son chiffon (si elle était pas morte en 40 j’aurais soupçonné un amant éconduit); Spiderman qui me souffle des trucs dégueulasses à l’oreille, comme si ça allait davantage me donner envie de lâcher 5 dolls pour faire une photo avec lui; Carlos qui m’explique qu’il faut absolument que je choisisse son bus « Tour des maisons des célébrités » à lui, parce qu’il est payé sur commission et que ça ferait FRANCHEMENT plaisir à son agent de probation (Carlos est marrant mais il a la dentition de Joey Starr et il me fait un peu peur); Broccoli et Fabian qui ont droit à leurs étoiles… mais attention, le premier n’est pas un légume et le second ne nous aime pas « comme un fou, comme un soldat, comme une star de cinéma » ; le mec fou qui débarque de nulle part et qui me hurle « HEY YOUNG WHITE LADY! WHAT’S IN YOUR BAG? WANNA COME WITH ME? TALK TO ME!! » tout en me collant plus fort et plus près que des bas de contention (il finira par me lâcher après que je lui eus servi un progressif: « who are you? what do you want? don’t come that close! OKAY GET THE FUCK OFF MAN!!! », ce qui l’amènera à emmerder une autre pauvre victime « HEY YOUNG BLACK LADY! WHAT’S IN YOUR BAG ? » vous devinez la suite), et enfin, je retiendrai que Cendrillon se démaquille dans les chiottes de Starbucks (Disney, c’est décidément plus ce que c’était).

 

 

« Pour qui peut se promener à loisir, même la jungle est une route royale ». Proverbe cingalais (merci Evène)

Bof pour une première journée, me dis-je, tandis qu’on me tend un antépénultième flyer « Visitez les maisons des riches ! » et que j’explique au guide que de voir la baraque de Paris Hilton m’intéresse à peu près autant que de connaitre le nom du dentiste de Patrick Bruel (je suis étonnée qu’il ne saisisse pas la référence). Et bien j’avais tort. Voilà, il faut l’admettre. Pourquoi ? Parce que j’ai eu l’idée un peu aventureuse (oulala) d’aller de Hollywood Boulevard à l’observatoire de Griffith à pieds. Ce qui ne me semblait pas loufoque pour un sou en a pourtant fait rire plus d’un, à commencer par un gars qui agitait un drapeau à l’angle d’une rue, je ne sais pas bien pourquoi, et à qui j’ai demandé mon chemin : « Where do you wanna go ? ». Je lui réponds donc que je vais à Griffith. Sa réponse n’a pas besoin de traduction : « hahahahahahaha ». Je ne dis rien. Il percute « Seriously ? Maaan you’re crazy ! It’s too far. You’re not gonna survive with this heat and these shoes ». Pour les non anglophones, je vous la fais courte : en gros, je suis pas bien dans ma tête. Boarf, les Ricains sont drôles, je continue à marcher. Et là, première surprise sympa: le Hollywood Bowl Self Storage : un immense entrepôt de self-stockage sur Argyle Street, avec des fresques murales aux airs de western à perte de vue. Je m’arrête, prends des photos de la façade et là, je le vois : un mec sur son banc dans l’entrée, avec un drapeau Red White and Blue derrière, à l’ancienne (pas de doute, on est au US), baigné dans une lumière quasi surnaturelle. Ni une ni deux je traverse et je lui demande si je peux le prendre en photo. Je fais alors la connaissance de Robert, la quarantaine à tout casser, puis de Dave, un petit vieux avec une canne sûrement aussi vieille que lui… et une sacrée gueule. Je leur demande s’ils voient beaucoup de touristes vu qu’ils sont cachés dans leur coin et qu’ils font pas partie de l’attraction (ha ! la fameuse). Réponse de l’intéressé « les p’tits curieux qui sortent du parcours traditionnel, si ! Finalement, ils sont pas mal nombreux, et tout le monde nous dit que la lumière est magnifique ici, qu’il y a un certain truc. Vous êtes la troisième aujourd’hui ! ». Bon, un peu déçue de découvrir que je n’ai pas l’exclusivité de la rencontre atypique, mais peu importe, je continue à discuter avec nos deux tenants. David m’explique que les gens qui stockent ici « c’est juste qu’ils ont trop de trucs, trop de machins. Ca leur arrive même de stocker de la bouffe ». Lui, ça fait plus de quinze ans qu’il est là, avec sa femme Roberta. L’endroit en a quinze de plus : family business depuis 1983 m’explique-t-on. Il changerait sa place pour rien au monde, même s’il aimerait bien voyager, « tiens en France par exemple ! », s’exclame-t-il en apprenant d’où je viens. On papote un peu, on parle peinture et je finis par leur souhaite une bonne journée. Je leur demande quand même s’ils veulent que je leur envoie les photos par mail, mais Robert et Dave ont l’air de s’en carrer comme de l’an 40. Je n’insiste pas et je reprends ma route.

 

Tom Cruise power

Franklin Avenue. Plein cagnard, au loin : des ordures. Pas très classe quand on voit le Hollywood Tower juste à côté, un immeuble répertorié au centre des monuments nationaux[1], où Mustang et autres voitures de collection sont garées. Et puis en m’approchant, je me rends compte que ce que j’avais pris pour des ordures ne sont rien d’autres que des bouquins en libre accès, laissés là par une bonne âme charitable ayant affiché un énorme papier « FREE » sur l’arbre le plus proche. Bon , les titres un peu illuminés donnent pas vraiment envie mais c’est l’intention qui compte. Et puis en avançant un peu plus loin, je crois faire le lien entre l’œuvre littéraire « visualisation créative » et la bâtisse qui se tient devant moi : le Centre des Célébrités de l’Eglise de Scientologie. C’est la deuxième fois en une demi heure que je tombe sur un bâtiment du mouvement de Camden dans Hollywood. Sur celui-ci, une énorme bannière indique au-dessus de ma tête « Jurassic Park Friday » alors qu’un signe plus bas invite le badaud à rentrer. Je ne me fais pas prier. Dans le jardin attelé à l’immense château qui se dresse devant moi, une magnifique serre géante à faire pâlir celle fraîchement arrivée au parc zoologique de Vincennes. On ne se refuse rien chez les Scientologues. Un photographe s’active dans l’allée principale. « Est-ce que vous pouvez me dire ce que c’est qu’un ‘‘Vendredi Jurassic Park’’ ?, je lui demande en rigolant. Et le lien avec l’Eglise de Scientologie ? Parce que je suis curieuse là ! ». Ce Hongrois dans la trentaine m’explique que les VIP impliqués dans la « scène artistique » et membres de l’Eglise, évidemment, viennent faire des soirées à thème les vendredis, arrosés toute la nuit de champagne et nourris aux petits fours. Je lui demande ce qu’il fait là. « Mon boulot c’est de photographier des trucs ». Ha, d’accord, mais pour qui ? osé-je creuser davantage. « Oarf, pour des sites hongrois, des entreprises parfois, des marques, tout ça ! ». Et puis après trois invitations pressantes à pénétrer dans l’antre de la demeure colossale, je finis quand-même par lui pose la question qui me titille depuis le début de notre conversation – jusque là aussi creuse que le taux directeur de la BCE en ce beau mois de septembre : « mais, vous là, vous êtes membre ? ». « Euh oui. En fait c’est pour l’Eglise que je suis photographe. Mais normalement je suis pas sur le site de Los Angeles ». Ha bah voilà. On y vient. Ça a mis du temps mais c’est sorti !

 

 

 

Bon, toujours est-il que le reste de la discussion ressemblera globalement à une tentative d’enrôlement pas si finaude que ça, et que j’ai de la route jusqu’à l’Observatoire Griffith. J’abandonne donc mon nouvel ami et continue sur Franklin Avenue. Pêle mêle : un étudiant qui vendait des bouquins dans la rue et à qui j’ai acheté Fahreneit 451 de Bradbury (un petit bijou ce classique au passage, si vous avez du temps), le Daily Planet qui a perdu de sa superbe après la disparition de Christopher Reeve (bon en vrai, c’est le nom d’une librarie qui paye pas de mine), un restau qui s’appelle Poubelle et qui organise des soirées « basura » (ça n’aura pas échappé aux hispanophones : cela signifie également « poubelle ». Orginalité quand tu nous tiens) et tenu par la même famille depuis les années 60 d’après Mario (qui n’est pas Italien et qui ne sait pas pourquoi un jour son aïeul a décidé d’appeler son restau comme ça. Les grands mystères de la vie) ; et enfin le papier affichant les têtes de Sabreena Shimai et Malcolm Linvingstone à l’entrée de la brasserie Birds, qui ne sont plus les bienvenus depuis un « comportement inapproprié » (ha, ok).

 

Tout est bien qui finit bien

Je vous épargne les rencontres bizarres/drôles/motivantes (rayez les mentions inutiles) jusqu’à l’Observatoire Griffith, perché en haut des montagnes, et j’en viens aux faits. Ok, marcher jusqu’en haut était une raison plutôt d’ordre technique, puisque n’ayant pas de voiture. Mais si cela m’a toujours plu de déambuler en utilisant mes gambettes, c’est que c’est bien le seul moyen de transport où l’on a le temps de parler aux gens, de découvrir l’animal bizarre là (si si regardez bien, juste là, quasiment de la couleur du tarmac), de respirer en s’arrêtant sans contraintes où bon nous semble… si l’on donne du temps au temps, évidemment. J’écris ces quelques mots à l’instant même où je viens de découvrir un documentaire intitulé « L’urgence de ralentir » (merci David!). Si c’est pas beau comme coïncidence ça…

En somme, si un jour vous avez l’occasion de passer par cette « crêpe gigantesque » qu’est LA (l’expression n’est pas de moi mais d’une thérapeute aussi folle que géniale, rencontrée dans la bibliothèque de Beverly Hills, et chez qui je vais passer deux jours. Mais c’est une autre histoire), si donc vous passez par là, lancez vous dans ce mini périple à pattes. La vue en haut vaut vraiment le coup et vous la savourerez d’autant plus que vous aurez grimpé au sommet par vos propres moyens. De préférence deux heures avant le coucher du soleil, pour profiter de Chien-Loup, assister au coucher du soleil et enfin voir la ville entière s’illuminer progressivement sous vos yeux.

 

Mes « vraies » photos de LA sont par là, au cas où vous voulez avoir un aperçu un peu plus soigné (et en HD)

 

Nota bene :

Ce billet est dédicacé aux quatre Français extraordinaires rencontrés tout là-haut, qui m’ont ramenée jusqu’à Beverly Hills en voiture et attendu une heure et demi en pleine nuit que je retrouve la maison de mes hôtes, qui semblait avoir fondu en une après-midi, comme neige au soleil. Si, ô toi petit touriste couchsurfer, tu ne veux pas jouer les boulets comme cette sotte que je suis (à vous mes Zorro du driving, si vous me lisez : je suis tellement, tellement désolée. Un jour, vous viendrez en Bretagne et je vous ferai des crêpes si divines que vous en oublierez ma bêtise !), si tu ne veux pas laisser la honte envahir ton petit être donc, retiens une chose : les 200 et autres chiffres suspicieusement ronds que ton hôte t’indiquera peut-être pour situer son domicile ne sont (sauf coïncidence) pas les numéros des dites maisons mais les numéros de blocks : pense donc à noter le numéro affiché sur la demeure dans laquelle tu as prévu de dormir cette nuit si, comme moi, tu es un peu con tu as des troubles de la mémoire immédiate jusque là inégalés (ou une prosopagnosie architecturale, c’est au choix). Des bisous californiens ! (c’est-à-dire chauds et chers)

 

 

 

 

 

[1] Le National Register of Historic Places ou NRHP est l’établissement officiel placé sous la tutelle du gouvernement des Etats-Unis qui conserve, restaure, gère, anime et ouvre à la visite l’ensemble des monuments (districts, lieux, objets et structures) au niveau fédéral. Source : http://www.nps.gov/nr/

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