J’avoue avoir découvert l’existence de l’expression « écriture inclusive » il y a peu (un mois, à tout casser).
Première réaction : ah donc on va enfin s’adresser à tout le monde dans nos courriers, emails, manuels scolaires, sites internet, etc. Pas mal !
Deuxième réaction (en lisant les journaux français) : mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ??? C’est quoi ces trucs avec des points partout ? Mais c’est illisible ! Merci mais… non merci.
Troisième réaction : Bon. Si j’allais voir de quoi on parle vraiment depuis des semaines, au lieu de m’exciter sur un truc dont je ne connais rien.
Verdict : j’ai appris pas mal de choses et ai donc décidé d’en faire un « résumé exhaustif » (oui, je sais, c’est un peu un oxymore…)
- De quoi on parle, exactement ?
Je suis donc allée voir la définition approuvée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE): « L’écriture inclusive désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes. »
Par exemple, quand une femme ou un homme politique écrit : « Françaises, Français, voici de la brioche », il ou elle parle à tout le monde, pas à la moitié de la population. C’est de l’écriture dite « inclusive ». Mais on pourrait tout aussi bien dire : « Mes chers compatriotes, voici de la brioche ». Ça n’a pas rallongé la phrase, on n’a pas utilisé de point milieu, et pourtant, c’est AUSSI de l’écriture inclusive : on a simplement utilisé l’épicène (j’y viens).
- Ah, donc c’est pas juste une question de « point milieu » ?
Eh bien non ma bonne dame (ou mon bon monsieur, aussi, du coup). Personne ne demande de mettre des points partout pour rendre l’écriture inclusive. Pour ça, il y a plein de méthodes différentes.
Le HCE propose de s’adapter aux changements de société en encourageant plusieurs choses, parmi lesquelles :
- Utiliser l’ordre alphabétique lors d’une énumération
Je prends un exemple très simple puisque je suis journaliste : à la fin d’un reportage, pour signer, il suffit de mettre les noms dans l’ordre alphabétique. Comme ça, Jean-Michel n’est pas avant Micheline sans raison. Et inversement.
- Parler « des femmes » plutôt que de « la femme »
Exemple : la journée internationale des droits des femmes. Pas « journée de la femme » (ça n’existe pas).
- Accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres
Exemples : « présidente », « directrice », « chroniqueuse », « professeure », « intervenante », etc.
(On verra plus bas qu’en lisant ces noms de métier féminisés, les Académiciens en tombent généralement de leurs chaises Louis XVI, après avoir roulé des yeux et porté leur paume à leur front.)
- User du féminin et du masculin, par la double flexion, l’épicène ou le point milieu
Exemples :
« elles et ils font »,
« les membres », (ça, c’est l’épicène, j’y viens)
« les candidat·e·s à la Présidence de la République », etc.
Précision : à l’oral, la dernière phrase se lit « les candidats et candidates à la Présidence de la République », pas « les candiDATS. Teu. SSS à la présidence de la république » ou, encore plus ridicule (mais je l’ai entendu) « Les candidats POINT euuuu POINT « s » à la Présidence de la République.» Ça, c’est un message à celles et ceux qui souhaitent ridiculiser la démarche en en faisant quelque chose d’imprononçable et en affirmant que l’écriture inclusive, ça n’est QUE ce point milieu. Ça ne l’est pas. Point. Milieu.
- Ne plus mettre de majuscule de prestige à « Homme »
Exemple : « droits humains » plutôt que « droits de l’Homme »
Avouez que c’est TRÈS, TRÈS COMPLIQUÉ.
Résumé pour ceux qui ont la flemme de lire : il est possible d’écrire en inclusif sans jamais utiliser le « point milieu » ou « point médian ».
- « Epicène », kesako ?
Je vous avais dit que j’y venais. Selon le CNRTL :
A.− [En parlant d’un nom d’être animé] (Terme générique) qui sert à désigner une espèce, sans préciser le sexe. Les mots Enfant, perdrix sont des noms épicènes (Ac.1932).
B.− [En parlant d’un subst., d’un adj., d’un pron.] Qui a la même forme au masculin et au féminin (cf. Dupré Lex. 1972).
Prononc. et Orth. : [episεn]. Étymol. et Hist. 1464 gramm. epichene « qui est commun au genre masculin et féminin » (Lagadeuc, Cathol., Quimp. ds Gdf. Compl.). Empr. au lat. class.epicoenus « épicène », gr. ε ̓ π ι ́ κ ο ι ν ο ς « possédé en commun, épicène ».
Selon Wikipédia :
Un mot épicène est un mot qui n’est pas marqué du point de vue du genre grammatical et peut être employé au masculin et au féminin sans variation de forme.
Par extension, en linguistique, on désigne également comme épicènes les mots où la distinction de genre grammatical est neutralisée, malgré leur appartenance à une classe lexicale où le genre est susceptible d’être marqué : cela concerne non seulement les noms, mais aussi les adjectifs, les pronoms.
Les mots homophones, qui ont une prononciation similaire sans être homographes puisqu’ils s’écrivent différemment au masculin et au féminin, ne sont pas épicènes — par exemple, en français : un aïeul et une aïeule ; un apprenti et une apprentie ; Michel et Michelle ou Michèle (nota bene : mon père et ma mère ne sont donc pas épicènes, je vais les prévenir de ce pas).
Exemples :
Un prénom peut être épicène : Alix, Camille, Claude, Dominique …
De nombreux substantifs sont épicènes : Adulte, bénévole, collègue, élève, enfant, gosse, malade, nomade, partenaire, etc. Au pluriel, on ne sait donc pas si on parle de femmes ou d’hommes.
De très nombreux noms d’habitants, de peuples ou de communautés sont épicènes : Bosniaque, Madrilène, Bulgare, Belge, Russe, Cairote …
De la même façon, de nombreux noms de métiers, fonctions ou titres sont épicènes :
- Généralement celles et ceux qui se terminent par une consonne suivie de -e muet au masculin : athlète, cadre, diplomate, funambule, gendarme, interne, mime, modèle, pilote, porte-parole, responsable)…
- ou par -que : domestique, énarque, scientifique …
Sont également épicènes les noms qui peuvent désigner des personnes et se terminent par les suffixes grecs suivants :
- anthrope : philanthrope, misanthrope…
- crate : aristocrate, bureaucrate, démocrate…
- gène : aborigène, indigène…
- mane : indicatif d’une passion (bibliomane, mélomane…) ou d’une maladie (mythomane, toxicomane… à l’exception de nymphomane qui est un nom féminin « comme de par hasard » einh),
- naute : désignant des navigateurs (astronaute, internaute…),
- pathe : indicatif d’une pathologie (myopathe, psychopathe…), sinon d’une profession médicale,
- phile : indicatif d’un goût ou d’une pratique particuliers (bibliophile, cynophile, haltérophile…) ou d’une attirance sexuelle hors norme (nécrophile, pédophile…), également employé dans le nom hémophile,
- phobe : indicatif d’une aversion, hostilité ou crainte (androphobe, sinophobe…)
Bref, vous avez compris.
- Le masculin l’a-t-il toujours emporté sur le féminin ?
Eh bien non. Jusqu’au XVIIe siècle (marrant, le siècle où l’Académie française a vu le jour. Il n’y a pas de hasard), dans la langue française on pratiquait la règle de la proximité (merci à Alban Barthélémy pour son article très instructif) : le terme qui était le plus proche était considéré comme le plus important. On pouvait ainsi placer les mots dans le sens où la logique l’emportait.
Exemple : cet homme et ces cent femmes étaient impliquées dans le plus grand scandale que le siècle de Molière ait connu.
Cette femme et ces cent hommes étaient impliqués dans le plus scandale que le siècle de Molière ait connu
Ça vous choque ?
Parce que personnellement, je me souviens comme si c’était hier de ma rentrée de CP et de l’explication de cette règle. Je me souviens très bien qu’à l’époque, filles comme garçons, nous avions demandé à la maitresse (Isabelle de son petit nom) : mais pourquoi ? C’est pas logique !
Réponse : Parce que c’est comme ça. Voilà. C’est la langue française.
Ça démarre mal quand même. Aimer une langue qu’on trouve illogique dès le début, voire injuste pour les premières concernées, ça n’est pas simple…
- L’écriture inclusive est-elle obligatoire ?
Non. C’est le principe de ce que l’on nomme une « recommandation ». Chacun fait ce qu’il veut en somme.
Comme l’a dit une chroniqueuse Europe 1 vivement critiquée pour avoir osé s’attaquer aux intouchables Académiciens : « Personne ne va défoncer votre porte au bélier à 6 heures du matin, vous menotter au radiateur et vous taper dessus avec un Bescherelle » (sous-entendu : si vous n’appliquez pas ces recommandations).
- Essayez de lire « Mme Bovary » en inclusive et revenez nous voir.
« En quelle langue faut-il expliquer que l’écriture inclusive n’a pas vocation à provoquer une réécriture des textes passés ? » s’exclamait il y a deux semaines une chercheuse. C’est vrai ça, en quelle langue ?
N’ayez donc crainte, vous pourrez lire la version originelle de Madame Bovary sans avoir à risquer que des pompiers viennent brûler tous vos bouquins comme dans Fahrenheit 451.
Quatre réflexions tout de même :
- Essayez de lire Gargantua tel que l’a écrit Rabelais en 1534 et revenez nous voir. On a toujours réécrit les œuvres en fonction de l’évolution de nos sociétés. C’est le principe d’une langue vivante : elle évolue, car nous évoluons.
- Comme l’a très justement remarqué Laure Botella : « Essayez de lire Racine en inclusive et revenez nous voir … Ah merde, il écrivait déjà sous une forme d’inclusive (accord avec le plus proche)»
- On peut écrire des pépites en langue inclusive. C’est ce qu’a fait Anne Garréta en 1986 avec Sphinx. Dans ce roman, elle a recourt à des mots et tournures syntaxiques épicènes pour se référer aux deux protagonistes, de sorte que leur identité de genre — sexe ou genre — soit indéfinissable. En gros, cette prouesse stylistique lui a valu de devenir le premier membre de l’Oulipo qui soit né après sa fondation. (Si vous ne savez pas ce qu’est l’Oulipo, ça vaut le détour)
- Enfin, réécrire des textes en écriture inclusive ne veut PAS dire changer le sexe ou genre des protagonistes des œuvres passées, comme le prétend cette Une ridicule du Point :

- « La langue française EN PERIL MORTEL »
Oui. Rien que ça.
Parce que nos chers amis les Académiciens adorent faire dans la mesure. L’institution créée au XVIIe siècle a, sans surprise, pris toutes les recommandations de l’écriture inclusive… pour mieux les ridiculiser. Et ça ne date pas de la rentrée 2017.
Féminisation des noms de métier ? Mais ça va pas la tête ! Avouez que ce refus catégorique de féminiser les noms de métier est tout de même étrange puisque quand on a décidé de dire « une boulangère » (pourtant sur le logiciel Word, on me souligne ce mot en bleu pour le remplacer par « boulanger »), ou encore « une domestique », il y a déjà plusieurs dizaines d’années, on n’a pas entendu les Académiciens crier au scandale. En revanche, quand il s’est agi, sous la Ve république, d’en faire une règle pour tous les métiers (y compris celui de docteur ou d’avocat, imaginez…), d’abord en 1984 avec Laurent Fabius puis en 1998 avec Lionel Jospin, vous pensez bien que ça a commencé à poser un petit problème. A lire les Académiciens donc, si un jour une femme avait la prétention d’accéder au poste suprême, celui de président, il faudrait ainsi s’adresser à l’heureuse élue de cette manière : « Madame le Président ». Ben voyons ! Qu’une juge veuille se faire appeler « Madame le Juge », c’est son choix. Mais diable, qu’on ne nous interdise pas cette possibilité !
Pour le reste, vous l’aurez compris : pas question de remettre en question le masculin qui l’emporte sur le féminin, pas question d’écrire « droits humains » à la place de « droits de l’Homme », bref. Il ne faudrait quand même pas trop réfléchir à adapter notre langue à notre époque.
merci pour cet éclaircissement :)
Merci à vous davoir pris le temps de lire :)