Le 8 mars touche à sa fin. « Voilà, maintenant vous pouvez éteindre la télévision et reprendre une activité normale. A’tchao, bon dimanche ». Mais avant, je tenais à révéler un scoop. Une nouvelle incroyable qui va surprendre aussi bien ses détracteurs que ses défenseurs – du moins ceux qui ne s’attachent guère aux détails… pourtant d’importance. Non, la « Journée de la femme » n’existe pas. Ce que certaines personnes se sont efforcées de célébrer dans le monde entier aujourd’hui, c’est la Journée internationale des droits des femmes. Un détail ? Loin de là.
Pourquoi les mots ont leur importance
Quand je prononce cette phrase, j’ai régulièrement droit à quelques remarques de bon goût. On hurle au purisme inutile, on m’explique que je ne devrais pas être si susceptible car, « après tout, tout le monde s’en fout du 8 mars », on m’accuse d’ériger l’euphémisme en dogme. Désolée de vous décevoir : je suis peu friande de ces pirouettes linguistiques consistant à ne pas appeler un chat « un chat », au risque de choquer le pékin. Ainsi, je me meurs devant un « pronostic vital engagé », ne vois pas pourquoi un aveugle doit être appelé un « non-voyant », tombe de haut lorsqu’un handicapé est « diminué » (avouez que l’expression est cent fois pire), sursaute quand on m’annonce que quelqu’un a « payé pour l’amour » alors qu’il est allé voir une prostituée, deviens folle lorsque j’entends qu’il faut d’urgence « aller voir quelqu’un » alors que, franchement, on pourrait me conseiller de consulter un psy. En bref, je n’aime pas spécialement les expressions à rallonge.
- « Des droits »
Alors pourquoi vouloir à tout prix étirer le très pratique « journée de la femme » en lui collant ce « internationale des droits de » ? Premièrement, parce que ça ne va arracher la bouche de personne de prononcer deux mots de plus, les 140 caractères de Twitter ne nous étant pas (encore) imposés au quotidien. Ensuite parce que célébrer une « journée de la femme » n’a effectivement aucun sens. Cela impliquerait (à tort dois-je le rappeler) que les 364 ou 365 autres jours célèbreraient de facto… les hommes. Ridicule, n’est-ce pas ? On est d’accord.
Ensuite, il suffit de s’attarder sur quelques autres de ces journées internationales pour comprendre le pourquoi du comment. Par exemple, avez-vous déjà entendu quelqu’un célébrer les mutilations génitales à l’ONU ? Non. Et pour cause : le 6 février de chaque année, on y rend hommage à ceux qui « lutte[nt] contre » ces mutilations. Ainsi, point de Journée mondiale du SIDA (ce qui reviendrait à dire « génial le SIDA ! »), mais un jour de « lutte contre le SIDA ». Il en va de même pour l’homophobie, la faim dans le monde, le terrorisme, l’exploitation sexuelle, et j’en passe. Revenir à l’expression originelle est donc fondamental si l’on souhaite comprendre les raisons de l’existence de cette journée, et la défendre à sa juste valeur.
Le hic, c’est que si le site web anglophone de l’ONU faisait, il y a quelques années encore, la part belle aux « droits » du sexe faible (sic), il s’est aujourd’hui aligné sur les versions française et espagnole, qui ont abandonné la notion de « droits » dans leur appellation officielle.
Rôle des journalistes, Organisations internationales, Politiques, …
Mais alors, me direz-vous, si même les OI et les ONG semblent avoir oublié ce que l’on célèbre le 8 mars, autant abandonner, non? Que nenni. Et c’est là que les journalistes, mais aussi les femmes et hommes politiques, ont une responsabilité de taille. Car les éléments de langage employés par les uns et les autres, à longueur de journée, sont ensuite repris par tout un chacun. Entendre par là : un prof, un chef d’entreprise, votre père, votre conjoint, le curé du coin, mais aussi votre mère, votre sœur, votre fille, la féministe du village, … Bref : quasiment tout le monde y passe, sans forcément s’en rendre compte. Ça m’est arrivé. Heureusement, pour me punir, je me suis lancée dans la préparation d’un bœuf bourguignon pour mon chéri après avoir nettoyé l’appart de fond en comble, puis j’ai embrassé ma fiche de paye moins remplie que mon collègue homme à poste égal.
Mais je m’égare. Je disais donc que les personnes que l’on entend sans cesse dans les médias doivent faire un effort. Il y a les mauvais élèves, ceux qui envoient du « Journée de la femme » à tire larigot, en se permettant souvent de s’interroger sur l’utilité même de cette journée. Il y a les très bons élèves, comme les journalistes de la matinale de France info où je n’ai pas entendu une seule fois l’aberration dénoncée (contrairement à RTL ou Europe 1, où j’ai arrêté de compter… et donc n’eu de cesse de zapper. Tant pis). Et puis il y a celles et ceux qui ne savent pas très bien. Ou qui veulent contenter tout le monde, au choix:

Chez les femmes et les hommes politiques, c’est la même chose. En pire parfois. Mais plutôt que d’étaler les exemples comme de la confiture (amère, souvent), j’ai décidé de me concentrer sur le seul exemple… exemplaire. Najat Vallaud-Belkacem, qui a bien compris l’importance des mots. En 2013, elle rappelait : «Le 8 mars n’est pas, comme on l’entend parfois, la journée de « la » femme, qui mettrait à l’honneur un soi-disant idéal féminin (accompagné de ses attributs: cadeaux, roses ou parfums) ». D’ailleurs, son Ministère il s’appelait comment déjà ? Le Ministère de la femme ? Non.
Pour comprendre un peu où je souhaite en venir, il faut revenir à la genèse de ce billet d’humeur. Il y a quelques jours, je suis tombée sur le supplément de Ouest-France: TV magazine. Que n’ai-je pas vu en Une ! Léa Salamé et Elise Lucet annonçant fièrement, imaginant sans doute se faire les chantres d’un féminisme « new age » : « la journée de la femme, c’est inutile ! ». Gloups. Oui, c’est sûr, la Journée de la femme est inutile. Tant mieux car, je le répète, elle n’existe pas. Et la chroniqueuse d’On n’est pas couché de poursuivre : « Autant les journées de mémoire, type Armistice, etc., sont importantes. Autant ces journées-là sont inutiles! On n’a plus besoin de ça pour exister ». Ah, Léa. Le problème vois-tu, c’est que cette journée ne sert pas à rappeler au monde entier que nous, femmes, existons (ou que toi, femme, tu existes). Elle sert à rappeler que nos droits, eux, ne sont pas là juste pour faire joli, qu’ils doivent être respectés. Et ça, crois-moi, ça n’est pas « inutile ».
- « Internationale »
« Mais Franchement, toi qui es Française, de quoi tu te plains? »
Respiration par le ventre.
Je n’ai pas vécu un seul « 8 mars » sans que quelqu’un (homme ou femme) juge utile de me partager cette réflexion de haute volée. Quand bien-même vivrais-je dans un pays où je suis l’égale des hommes (spoiler alert: ça n’est pas le cas), faudrait-il que je sois la dernière des égoïstes pour souhaiter la suppression d’une journée INTERNATIONALE seulement parce que, chez moi, je me sentirais confortablement installée dans mes privilèges ? Non, parce qu’en ce cas là, autant vous dire que je me débarrasse de plus de 90% des Journées mondiales. Moi, Française en bonne santé, séronégative, qui mange à ma faim et qui ai un toit sur la tête. On croit rêver.
Tiens, comme disait cette bonne vieille Cersei Lannister :

Au-delà de la dimension internationale que trop de gens oublient, cette bête phrase se révèle fausse. Pas besoin d’aller chercher bien loin pour se rendre compte qu’il y a encore du chemin à parcourir, même en France. Mais puisque nombre de mes ami.e.s trouvent que les histoires chroniques de discriminations vécues ne sont pas pertinentes, balançons quelques statistiques. Marlène Schiappa, adjointe à l’égalité auprès du Maire du Mans, le fait mieux que moi : « Les chiffres de l’INED, l’INSEE, l’OCDE nous disent que 80% des tâches ménagères sont en moyennes accomplies par des femmes. A poste égal et compétences égales les femmes sont payées 12% de moins. L’écart plonge à 27% en moyenne tout poste confondu. 1 femme sur 10 est victime de violences sexuelles au cours de sa vie. Et il n’y a toujours que 20% de femmes environ à l’Assemblée nationale et au Sénat ».
Mais on n’a pas besoin de cette journée en France. Non. C’est bizarre pourtant… j’ai l’impression de n’entendre parler de ces statistiques qu’une fois l’an. Au hasard, le 8 mars. Alors en attendant, heureusement qu’elle existe, cette journée. Je ne dis pas que c’est suffisant. Je ne dis pas espérer la voir perdurer des décennies durant. Au contraire. Le but est bien sûr de la voir disparaître. Pas parce que nous aurons arrêté de lutter pour nos droits, mais parce que la bataille de l’égalité et du respect aura été gagnée.
- « des femmes »
Ces deux derniers « s » sont parfois oubliés. Après tout, « la journée internationale des droits de la femme », c’est pas mal, non ? Oui, c’est pas mal. Mais on n’y est pas encore. Lorsque l’on parle de l’Homme, au singulier, on lui met une lettre capitale. C’est pour indiquer que l’on parle du genre humain. Lorsque l’on évoque la gent masculine, avec force préjugés, on dit « les hommes sont ». Pourquoi alors, lorsque l’on parle de la gent féminine, il conviendrait de dire « la femme est » ? « La femme » est sociale, sociologique, sociétale. C’est une idée, une représentation. Au singulier, « la femme » est essentialisée. Selon certains critères imposés par une société patriarcale, elle est idéale et idéalisée. C’est pratique, ça nous permet d’en venir au dernier point.
Génial : une culotte offerte pour la journée de la femme !
La foire lexicale dans laquelle se vautre cette journée que beaucoup célèbrent, pétris de bonnes intentions, autorise le meilleur… comme le pire. Ainsi, puisqu’en France on entend régulièrement que le 8 mars est la « Journée de la femme », on pense lui faire plaisir :
- en lui envoyant un texto (« Bonne fête de la femme ! ». Soupir)
- en lui faisant, pour une fois, à manger (« j’ai fait un effort pour ta fête chérie ». Yeux levés au ciel)
- en lui offrant des chocolats, un bouquet, que sais-je
La femme adore ça : c’est une femme ! Comme pour signifier que le droit au pétale n’existe que quelques jours dans l’année : la Saint-Valentin, l’anniversaire en tout genre (naissance, premier rencard, mariage), éventuellement Noël et… le 8 mars. « Comme ça tu peux pas te plaindre einh. Haha (rire gras) ». Comment en vouloir à l’homme (sic) de sa belle intention, lorsque partout où l’œil s’égare, des récupérations marketing fleurissent. Car il faut reconnaître que l’ambigüité autour de la dénomination de cette journée fleure bon les bénéfices pour le prêt-à-porter. Ainsi, que ne suis-je pas tombée de ma chaise en voyant que, Etam, bon(ne) prince(sse), m’offrait une culotte pour la « journée de la femme ».

Et d’oser « Vive les femmes ! » en accroche. Achevez-moi. Franchement.
Réfléchissons un instant à l’ambigüité qui tourne autour de la dénomination de cette journée: de qui sert-elle les intérêts et voulez-vous y contribuer? Je vous laisse méditer.
« Voilà, maintenant vous pouvez éteindre la télévision et (vraiment) reprendre une activité normale. A’tchao, bon dimanche ».
Mélina Huet
J’apprécie beaucoup ton article, très bon travail