C’était un vendredi 13. Il était 21h, 22h peut-être. Je ne me souviens plus vraiment.
Nous, les copains de Radio Campus, nous retrouvions au compte-gouttes dans un petit appartement du 17e pour un direct « hors les murs ». Dans un petit appartement plein d’amour. Celui de Flore. J’étais venue en bus de mon 18e. Pendant tout le trajet, mon portable avait vibré au rythme des « notifications push » de mes applications de journaleuse: France TV Info, Le Monde, France 24, Le Figaro, France Info… La semaine avait été longue. Très longue. Trop longue. J’avais pensé « Oh non, pas encore Air cocaïne » en balayant d’un doigt les alertes, sans jeter un coup d’œil au contenu. Pas professionnel en somme. La barbe. Je n’avais qu’une envie: revoir quelques têtes, en découvrir d’autres. Parler fesses et érotisme, boire un coup et rire un peu. Rien qu’un peu.
A mon arrivée, j’ai vu des gens sur le pallier, téléphone greffés à l’oreille. Des copains de la radio. Ils me parlaient avec la tête et les mains. J’ai compris, à leur air grave, qu’ils s’inquiétaient. Et moi qui ne savais rien.
Et puis… trois mots là. Ici, deux yeux terrorisés. Quelques pièces du puzzle s’éparpillaient devant moi. Mises bout-à-bout, j’ai enfin vu le tableau: il était hideux. J’ai repris mon téléphone, lu mes alertes, et puis j’ai cherché de mes yeux paniqués ceux des autres. Les autres qui savaient déjà et comprenaient la ligne que dessinaient mes sourcils. Comme eux, j’ai pris un verre vide, y ai versé la première chose à portée de main, ai composé des numéros. Un travail à la chaîne.
- C’est Mélina? ça va?! T’es où?!
- Je suis ok. A l’appart. C’est fou ce qui se passe.
- Oui…
- Et toi ??
- Dans le 17e, on devait enregistrer notre émission radio cette nuit…
- Oui… je me souviens….
- …
- … je suis content que tu ailles bien. Vous allez maintenir?
- Je ne sais pas …
Et c’est vrai. Je ne savais pas. A regarder les gens autour de moi, je voyais bien que c’était le flou pour tout le monde. A voir les clopes se griller à la pelle, les verres se finir les uns après les autres, à entendre les rires nerveux avec lesquels tu sais pas quoi faire (Je ris aussi? Je pleure? Mais non! Pourquoi je pleurerais merde! Mais c’est bizarre de rire maintenant, non? Non?? Mais pourtant elle était drôle cette blague! Mais pourquoi je ris pas alors?). A dire vrai, c’était le bordel dans nos têtes. On s’est enivré, de vin, mais de mots, d’angoisse(s), de blagues pas drôles (mais drôles quand même), de joie d’entendre nos amis au bout du fil, de stress de ne pas savoir pourquoi cette abrutie ne répond pas (Mais réponds, putain!!).
Alors on a fini par la poser. La question:
- On la fait cette émission?
On s’est regardé. On a discuté. On a maintenu.
On n’a pas été courageux, comme certains l’ont affirmé plus tard.
Simplement… aucun de nos proches n’avait perdu la vie ce soir là. Ou en tout cas on le savait pas encore…
On n’a pas été des salauds égoïstes non plus, comme peuvent l’imaginer certains autres.
Simplement… aucun de nos proches n’avait perdu la vie ce soir là. Ou, en tout cas, on ne le savait pas encore…
C’est sûr. Si ce vendredi 13, j’avais perdu ma sœur, mon pote, un amoureux … j’aurais pas pu. Et personne n’aurait pu. Ils auraient annulé. Si un seul d’entre nous ce soir-là avait dit, avec plein de larmes au fond des yeux, « les gars… elle est partie… elle reviendra pas« , on n’aurait pas pu. On aurait annulé.
Simplement… aucun de nos proches n’avait perdu la vie ce soir là. Ou, en tout cas, on ne le savait pas encore…
Alors on a décidé de maintenir. Contre la haine des uns, on a voulu parler de l’amour des autres. Contre la folie furieuse, on a voulu opposer la fureur de vivre . On avait la chance d’être dans un pays avec tout plein de fréquences, où les gens pouvaient s’informer sur les ‘événements‘ partout ailleurs, juste en appuyant sur le bouton « marche/arrêt » de leur poste, en cliquant sur le « play » de leur smartphone. On avait la chance d’être dans un pays où on pouvait parler de cul en direct, à l’antenne d’une radio associative, pendant que des êtres dénués d’humanité essayaient de nous mettre à genoux en fustigeant nos mœurs légères. Lourds qu’ils étaient de leurs kalach’ et leurs ceintures d’explosifs.
On pouvait le faire. Alors on l’a fait.
Mélina
Une émission « galop d’essai ». Avec ses erreurs, ses gens un peu saouls et vach’ment tristes, blagueurs mais forcément meurtris, blessés mais plein d’espoir.
A 42 minutes, mon reportage sur le Beverley, dernier cinéma porno de Paris. Les sonores ont été lancés dans le désordre. Tant pis.
On recommence ce vendredi 18. Ce sera sur 93.9FM en Île-de-France et en direct sur le site Radio Campus Paris